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Le massif jurassien, situé à l’est de la France, abrite une importante couverture forestière, notamment dans ses zones d’altitude. À partir de 800 mètres environ, les conditions climatiques changent : les températures sont plus basses, les précipitations plus abondantes, et les hivers plus longs. Ces facteurs donnent naissance à un type de forêt spécifique, dominé par les résineux, et adapté aux contraintes du milieu montagnard.

Les forêts d’altitude jurassiennes remplissent des fonctions écologiques majeures : elles stockent du carbone, abritent une biodiversité remarquable, régulent l’eau et protègent les sols. Bien que relativement préservées, elles sont aujourd’hui confrontées à plusieurs pressions, notamment liées aux changements climatiques, à la gestion forestière et aux usages humains.

Des forêts façonnées par l'altitude et le climat de montagne

Dès que l’on s’élève au-dessus de 800 mètres, le climat se modifie : les températures diminuent, les précipitations augmentent, et la neige recouvre le sol plusieurs mois par an. Ces conditions rigoureuses différent de celles que l’on rencontre dans les plaines ou les vallées plus douces et donnent naissance à un type de forêt spécifique.

Dans ces forêts montagnardes jurassiennes, trois espèces dominent le paysage :

  • le sapin pectiné, typique des forêts montagnardes européennes, très résistant à l’ombre et bien adapté à l’humidité ;
  • l’épicéa commun, souvent planté mais aussi présent naturellement à haute altitude, au port conique caractéristique ;
  • le hêtre commun, un feuillu montagnard qui forme, avec les résineux, des forêts mixtes riches en biodiversité.

Dans les versants, les mieux exposés ou les sols plus secs, on trouve aussi l’érable sycomore, le sorbier des oiseleurs ou l’alisier blanc. Sur les sols plus profonds, la végétation herbacée peut être variée, avec la présence de grandes fougères, de la luzule, ou de mousses et lichens typiques des milieux humides.

Un habitat pour de nombreuses espèces

Les forêts d’altitude jurassiennes sont des réservoirs de biodiversité. Elles abritent de nombreuses espèces sensibles, toutes symboliques de ces forêts au cycle de vie particulièrement fragile et caractéristiques des écosystèmes à haute valeur environnementale et à forte naturalité. Certaines sont menacées à l’échelle nationale.

Faune emblématique :

  • le lynx boréal, réintroduit dans les années 1970, trouve dans ces forêts un habitat discret, riche en proies et peu fragmenté. Il s’agit de l’un des rares grands carnivores encore présents en France ;
  • le grand tétras, oiseau forestier emblématique, extrêmement sensible au dérangement, notamment en hiver et pendant la nidification ;
  • des petites chouettes de montagne, comme la chouette de Tengmalm ou la chevêchette d’Europe ;
  • plusieurs espèces de pics, notamment le pic noir et le pic tridactyle, étroitement liés à la présence de vieux arbres, de bois mort et de troncs creux, qu’ils utilisent à la fois pour se nourrir et pour nicher ;
  • des mammifères forestiers comme la martre, le blaireau, le cerf ou le chevreuil ;
  • une myriade d’insectes xylophages (coléoptères du bois mort), de chauves-souris forestières, et de papillons liés aux clairières humides.

Flore et milieux :

  • une grande variété de mousses, lichens et champignons, particulièrement dans les forêts anciennes ou peu exploitées ;
  • des plantes montagnardes spécifiques, comme la dent de chien, la primevère farineuse ou certaines orchidées forestières ;
  • une flore de sous-bois riche en plantes à baies, notamment la myrtille, abondante dans les forêts acides et fraîches, mais aussi le framboisier sauvage, l’airelle rouge et le sureau noir, qui fournissent une ressource alimentaire précieuse pour de nombreux animaux ;
  • des tourbières boisées, milieux très humides en fond de combe, à forte valeur écologique et très sensibles au dérèglement hydrologique.

Ces espèces dépendent de la structure complexe de la forêt : clairières naturelles, sous-bois ombragés, vieux arbres, bois mort, zones humides, etc. Lorsque cette structure est simplifiée (par exemple après une coupe rase ou une plantation monospécifique), la diversité biologique chute rapidement.

Un rôle écologique et climatique essentiel

Les forêts d’altitude ne sont pas seulement belles ou riches en espèces : elles rendent de nombreux services écosystémiques, dont nous dépendons tous, même sans en avoir conscience :

  • régulation du climat : elles stockent du carbone, atténuent les températures extrêmes et retiennent l’humidité atmosphérique ;
  • protection des sols : leurs racines stabilisent les pentes, préviennent l’érosion et limitent les glissements de terrain ;
  • régulation hydrologique : elles retiennent les précipitations, favorisent l’infiltration de l’eau et régulent les débits des ruisseaux et rivières ;
  • réservoir de diversité génétique, indispensable pour l’adaptation des écosystèmes aux changements globaux ;
  • fonction sociale et culturelle : elles constituent des lieux de ressourcement, de promenade, de contemplation et d’éducation à la nature ;
  • fonction économique : elles sont indispensables à l’activité économique du territoire (exploitation du bois, tourisme, etc.).

Des pressions croissantes sur un milieu fragile

Malgré leur apparente tranquillité, les forêts d’altitude du massif jurassien subissent des pressions croissantes, liées aux changements globaux, à l’intensification des usages humains et à l’évolution rapide des pratiques de loisirs. Ces forêts, riches en biodiversité et sensibles à toute altération de leur équilibre écologique, voient leur intégrité écologique perturbée.

Le changement climatique : une menace silencieuse mais continue

Le changement climatique modifie progressivement mais profondément le fonctionnement des forêts d’altitude :

  • les hivers sont de moins en moins rigoureux, la durée d’enneigement diminue et les périodes de sécheresse estivale s’intensifient ;
  • l’épicéa, espèce dominante dans de nombreux peuplements jurassiens, est particulièrement vulnérable à la sécheresse et aux attaques de scolytes, des coléoptères xylophages dont la prolifération est favorisée par des températures plus douces ;
  • des décalages phénologiques apparaissent (floraisons précoces, périodes de reproduction modifiées, migrations anticipées), ce qui perturbe les interactions écologiques et les chaînes alimentaires.

L’augmentation des activités sportives de pleine nature

L’attrait touristique des milieux montagnards s’est renforcé ces dernières années. Les activités sportives de pleine nature s’y sont développées, augmentant ainsi la fréquentation des milieux naturels, y compris dans des milieux par le passé, difficilement accessibles en raison de l’enneigement important. Or, le changement climatique, la diminution de l’enneigement et la fonte précoce des neiges facilitent un accès précoce à ces milieux et permettent désormais de combiner les pratiques sportives estivales et hivernales.

Par ailleurs, le développement de l’autonomie des pratiquants facilitée par les outils numériques (ex. : GPS, réseaux web avec traces, topos en ligne, drones) offre de nouvelles possibilités et opportunités d’itinéraires. Les échanges sur les réseaux sociaux contribuent à densifier et accroître cette fréquentation.

Une intensification de l’exploitation forestière

On constate depuis quelques années une intensification de l’exploitation des peuplements d’épicéas notamment en raison du développement du scolyte, mais aussi des peuplements de feuillus et mixtes d’altitude sous l’effet de la demande croissante en bois d’énergie. Dans l’ensemble, ces coupes modifient la composition des forêts d’altitude ; elles affectent directement la valeur environnementale de ces écosystèmes y compris par leurs effets collatéraux tels que la création de nouvelles voies de circulation pour l’exploitation qui accroit la fragmentation des massifs forestiers et affectent aussi l’état de conservation et la dynamique des populations des espèces présentes, notamment les plus sensibles à la naturalité des lieux comme le grand tétras. 

Des impacts écologiques significatifs

La fragmentation des milieux

Le développement de nouvelles infrastructures forestières et touristiques redécoupe le paysage, participe à la fragmentation des milieux forestiers et réduit ainsi la surface d’habitats favorables à la faune sauvage. Dans le massif jurassien, on a constaté des cas de désertion de zones favorables au grand tétras situées dans le périmètre plus ou moins proche des infrastructures.

La fragmentation des forêts d’altitude limite ainsi les possibilités d’alimentation, de nidification et de déplacement de l’avifaune tout particulièrement, notamment les tétraoninés présents dans le massif. Par exemple, la population jurassienne de grand tétras, dispersée en plusieurs noyaux parfois isolés, ne dispose plus de suffisamment de corridors écologiques fonctionnels leur permettant de communiquer, avec les conséquences que cela peut avoir sur la diversité génétique de la population.

 

Des dérangements accrus et multi-saisonniers

Dans les forêts d’altitude jurassiennes, la faune sauvage est de plus en plus confrontée à des dérangements résultant principalement de l’exploitation forestière et des activités sportives de pleine nature. Ces pratiques, désormais répandues sur l’ensemble du massif, affectent particulièrement les secteurs les plus sensibles sur le plan environnemental, y compris lors des périodes critiques du cycle biologique des espèces.

Ces dérangements ne se limitent plus à une saison : ils s’exercent tout au long de l’année. En hiver, alors que les ressources alimentaires sont rares et peu énergétiques, les animaux doivent consacrer beaucoup de temps à se nourrir, ce qui les rend particulièrement vulnérables. Au printemps et jusqu’au début de l’été, la période de nourrissage des jeunes accroît encore cette sensibilité. Ainsi, la pression constante exercée par les activités humaines pèse lourdement sur les espèces déjà menacées, typiques des forêts d’altitude.

 

L’érosion des sols et les risques naturels accrus

La disparition de la couverture végétale, en particulier dans le cadre de pratiques comme la coupe rase, entraîne une exposition directe des sols aux aléas naturels. Sans la protection qu’offre la végétation, les pentes deviennent vulnérables à l’érosion hydrique, aux glissements de terrain et à une augmentation significative du ruissellement de surface. Ce phénomène est d’autant plus préoccupant dans les zones pentues et montagneuses comme celles du massif jurassien, où les sols, souvent peu profonds, reposent sur un substrat calcaire.

Les forêts y jouent un rôle fondamental de stabilisation du terrain. Leurs racines ancrent les sols, limitent le lessivage des particules fines et ralentissent le ruissellement des eaux pluviales, permettant ainsi leur infiltration progressive. Ce rôle est d’autant plus crucial dans les zones karstiques du Jura, caractérisées par des sols poreux et un réseau de fissures où l’eau s’infiltre rapidement. En l’absence de couvert forestier, ces infiltrations peuvent provoquer des effondrements de cavités souterraines, des coulées de boue ou encore l’aggravation des crues en aval, en raison d’une moindre régulation du cycle de l’eau.

Ainsi, le maintien d’une couverture forestière continue et diversifiée s’impose non seulement comme une mesure de conservation écologique, mais aussi comme un rempart indispensable face aux risques naturels croissants liés à la déforestation et au changement climatique.

Des leviers pour une gestion durable

Face à ces enjeux, plusieurs actions peuvent être mises en œuvre pour concilier protection de la nature, gestion forestière et activités humaines :

Une gestion forestière plus respectueuse :

  • favoriser la diversité des essences plutôt que les monocultures ;
  • allonger les cycles de coupe pour permettre aux arbres d’atteindre la maturité écologique ;
  • maintenir du bois mort et des arbres sénescents pour la faune spécialisée ;
  • encourager la régénération naturelle plutôt que les plantations.

Des zones de protection  :

  • Arrêtés Préfectoraux de Protection de Biotope (APPB) ;
  • Réserves naturelles, zones Natura 2000 ;
  • Zones de libre évolution : des forêts laissées sans intervention humaine, pour étudier et favoriser des dynamiques naturelles à long terme ;
  • Zones de Quiétude de la Faune Sauvage ;
  • Zones de Quiétude Volontaire de la Faune Sauvage.

Et bien évidemment, chacun peut à titre individuel contribuer à la préservation des forêts d’altitude en adoptant la « bonne altitude ».

Protéger aujourd’hui pour transmettre demain

Les forêts d’altitude du massif jurassien sont des écosystèmes riches, anciens et indispensables. Elles jouent un rôle fondamental pour le climat, la biodiversité, l’eau, le sol, et même notre bien-être psychologique. Mais elles sont aussi vulnérables, car dépendantes de conditions climatiques stables et d’un équilibre écologique délicat.

Protéger ces forêts, c’est préserver un patrimoine vivant qui nous relie à la nature, à la montagne et à la mémoire du paysage jurassien. C’est aussi un investissement pour l’avenir, pour faire face aux bouleversements à venir et garantir aux générations futures un territoire encore habitable, beau, et vivant.